techniques mixtes : encre, sérigraphie, dessin…

Le poisson est un animal sacré depuis l’aube des temps : dans la symbolique païenne et dans la tradition judéo-chrétienne.

L’ichthus (« poisson » en grec ancien) est un symbole chrétien utilisé comme signe de reconnaissance. De toutes les créatures de la Terre, il est un être à part, le seul à ne pas avoir été éradiqué par le Déluge. Bien connu dans l’ancien testament avec le miracle de la multiplication des pains et des poissons, ainsi que dans l’épisode de la pêche miraculeuse, il est symbole de vie, résurrection et du christ lui-même.

On le retrouve aujourd’hui frétillant dans de nombreuses expressions courantes très expressives : « Poisson d’avril », « Etre muet comme une carpe », « Etre frais comme un gardon », « Noyer le poisson », « Se sentir comme un poisson dans l’eau », « Engueuler quelqu’un comme du poisson pourri», « Finir en queue de poisson », « Avoir une mémoire de poisson rouge », « Etre serrés comme des sardines », « Il y a anguille sous roche »…

De plus, le poisson est pour l’homme un animal particulièrement esthétique et mystérieux : nous vivons dans des mondes opposés et l’un ne pourrait survivre dans l’univers de l’autre. Il exerce sur nous à la fois attirance (le bien être que l’on peut ressentir dans l’eau, le plaisir de nager, ses couleurs somptueuses) et répulsion (visqueux et froid, insaisissable).

Comme tout ce qui est éminemment symbolique nous parle de l’homme en profondeur, ces histoires de poisson m’intéressent par conséquence énormément. Je me mets au travail lors d’une résidence artistique en Chine : des poissons à l’encre nageant dans une bulle bien fermée, qui n’est pas sans me faire penser à une métaphore de la population chinoise.

Le thème m’habite encore, se développe, et continue à ondoyer… enrichi d’une nouvelle technique : la sérigraphie et un focus sur l’expression « Mémoire de poissons rouges » (bon à savoir : les poissons rouges seraient dotés d’une ridicule mémoire de trois secondes > faux). Ces petits ichtus m’emmènent vers les eaux troubles du souvenir et de la mémoire. Guidée par la poésie des mots, de l’encre et la magie de l’impression sérigraphie, les bulles se forment… autour des troubles de mémoire, « les souvenirs en cellule », « les mots à ne pas oublier », les « têtes-bocal », les « black out », etc.

Souvenirs en cellule – être dans sa bulle

Les mots à ne pas oublier

Plus jamais ?

« plus jamais ? » : combien de fois l’avons-nous dit sans aucune efficacité puisque notre histoire personnelle ou la grande histoire se répète ?

Têtes bocal

Trous de mémoire

“Black out”

Foule de souvenirs

Divers

Face to face

Karpe Koï

Ces poissons finissent par se mêler à leur source chinoise en s’intégrant dans les portraits dessinés en Chine, ondoyant dans les chevelures-rivière souples. Comment ne pas penser à la réflexion d’Hesna Caillau dans « Le paradoxe du poisson rouge » ?

« Notre monde contemporain ressemble à une mer très agitée. Avec ses courants complexes, ses vents changeants, ses vagues porteuses ou cassantes. Tel un poisson dans l’eau, un pays semble pourtant s’y mouvoir avec agilité et succès : la Chine. Depuis la nuit des temps, le poisson rouge y est célébré. Pas celui de notre enfance qui tourne en rond dans son bocal mais la carpe koï, grande et majestueuse, reine des bassins et rivières des jardins publics. Sa ressemblance avec un petit dragon, figure mythique du pays, tout comme sa robe rouge, symbole de la joie de vivre et de la force créatrice, lui valent d’être sacrée. Un culte qui ne doit rien au hasard. La culture prête à l’animal huit vertus, toutes inspirées de la sagesse chinoise : ne se fixer à aucun port, ne viser aucun but, vivre dans l’instant présent, ignorer la ligne droite, se mouvoir avec aisance dans l’incertitude, vivre en réseau, rester calme et serein, remonter à la source. Autant d’aptitudes qui offrent à la carpe une totale symbiose avec son environnement, toujours aux aguets pour saisir l’opportunité qui se présente. Dans un monde désormais multipolaire et interdépendant, l’heure est venue d’échanger non seulement nos marchandises mais aussi nos sagesses. Il y a chez les Chinois des idées et des façons de faire dont nous gagnerions à nous inspirer à la fois pour notre développement personnel et notre pratique en affaires. Il ne s’agit pas de devenir chinois mais de réveiller le Chinois qui sommeille en nous. »

Hesna Caillau « Le paradoxe du poisson rouge »